Jeudi dernier, avec Jacques et Franseza, nous sommes en route pour te rendre visite à la clinique Pasteur. Le téléphone sonne. Jacky m’appelle et m’annonce la nouvelle, attendue, redoutée, totalement irréelle…
Onze jours tout juste avant ton 82e anniversaire, tu viens de partir au-delà des mers…
Comment résumer ici ton parcours si riche de rencontres, de créations, d’amitiés et d’amour ?
Comment parler de ta générosité ?
Comment dire l’affection que nous te portions ?
Je me souviens de Bernard Dimey, le poète maudit de Montmartre, que tu m’as fait découvrir. À propos de toi, il dira : « J’ai connu Jean Dussoleil sur les hauteurs de la Butte, dans les cabarets enfumés où nous fourbissions nos premières armes. Tout de suite, j’ai senti en lui d’incontestables promesses. Une voix solide et chaude au service de textes vigoureux, d’une grande densité poétique, drus et virils. Une voix d’homme et d’un homme qui a quelque chose à dire... à vous dire. C'est assez rare pour qu’on s’y attarde. »
Aujourd’hui, devant toi, pour parler de toi, essayons avec quelques dates : ton départ, un 11 juillet, comme l’anarchiste Ravachol, le compositeur George Gershwin, le communiste Maurice Thorez, le romancier Milan Kundera… Revenons à ta naissance en 1942. C’était à La Bourboule, dans ta chère Auvergne. Un 22 juillet, tout comme l’anti esclavagiste Victor Schoelcher, le boxeur Marcel Cerdan, la comédienne Jacqueline Cartier, le chef d’orchestre Mohamed Saada, le peintre Edward Hopper, le journaliste Claude Villers, la chanteuse Cora Vaucaire… Te voilà en bonne compagnie.
Continuons à égrener les années : ta jeunesse dans les années 1940, la mort brutale de ton père, les années de pensionnat… Tes débuts dans le métier avec ton groupe Les Quatre baladins. Tes premiers 45 tours : Les 4 baladins en 1965, Je vole en 1973, Le petit matin en 1974, La Vieille en 1976, Un arbre en 1977. Ton premier 33 tours en 1978 : Tu trouves pas qu’on étouffe ? Suivront d’autres sillons : Partir en 1980, Les Coquelicots en 1982, Déchirure en 1985, Brest entre terre et mer en 1995, Mes cailloux blancs en 1997, Ma terre d’Auvergne en 1998, T’as pas cinq minutes ? en 2005, Panorama en 2015, Saltimbanque en 2019… Pas moins d’une centaine de chansons… Pas moins de 60 années de scène dans des cabarets parisiens et des salles de province... De nombreux galas en première partie de Jacques Brel, Mouloudji, Claude Nougaro, Isabelle Aubret, Dalida, Alain Barrière, Marcel Amont... et tant d’autres. Des émissions de radio avec José Artur, Claude Villers… Des passages à la télévision avec Guy Lux, Ève Ruggieri, Jacques Mailhot... Parfaitement orchestrés par Jacky, tes adieux à la scène le vendredi 18 octobre 2019 au Mac Orlan, à Brest, furent l’occasion pour beaucoup de dire combien on t’aime !
Encore 5 minutes pour nous souvenir de tes livres, riches de fantaisie, parfois cyniques et mordants, toujours sincères et généreux : Brest franco de port, Le Miroir éclaboussé, Habemus papam, Déjà mardi, Où est donc passé le Brennus ? sans oublier ta bande dessinée Des bigorneaux dans la potée ! Rappelons-nous aussi ton amour pour le monde circassien et ton Cirque en chantant. Sans oublier tes pièces de théâtre, écrites sur mesure pour l’ami Jacques : Les Fantômes de la gloire, Les Perroquets, Les Dessous de la soupière… et la superproduction Révoltes & combats d’espoir voyant 100 artistes sur la scène de la Brest Arena.
Tes amis ! HA tes amis !!! Impossible de tous les citer aujourd’hui. Et puis de toute façon, tu l’as très bien fait dans ton livre Saltimbanque. Une sacrée belle vie paru en 2019… Tu en parles également dans Le Regard du chat, ton livre-testament, à ce jour inédit.
Les femmes de ta vie… Évoquons le souvenir de ta grand-mère aimée, de ta mère, tes tantes et tes cousines, et, surtout, citons Nicole que tu as su si bien accompagner, et embrassons ton inséparable Geneviève. 42 ans d’amour concrétisés par un mariage brestois en mai 2012.
Humaniste et généreux, tu l’étais assurément. Une fois ta confiance donnée, tu étais un ami cher. Et comme maintenant tu n’es plus à 5 minutes près, je passe la parole à ton ami Jacques Mailhot qui avait tout compris en écrivant ces quelques lignes : « Jean Dussoleil est un citoyen du monde qui sème ses cailloux blancs au hasard de ses rencontres, au bonheur de ses coups de cœur. Il sait se mesurer à l’actualité la plus saillante. À l’aide de mots simples, il fait jaillir au détour de la rime autant d’images fortes, trempées parfois dans le vitriol, parfois dans la tendresse, parfois dans la nostalgie. Celle d’un temps qu’il ressent plus paisible, plus humain, un parfum de province qui flaire bon le saindoux et les plaisirs simples. C’est son côté iconoclaste, empêcheur de tourner en rond. On le sent à l’écoute de tout ce qui l’exaspère. Sous sa charpente rassurante se dissimule un volcan de révolte, un sang en perpétuelle ébullition, toujours prêt à en découdre avec l’aberration, la bêtise ou l’imposture. »
Au revoir Jean. Et à plus tard…